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INTERVENTION SÉANCE
PPL visant au gel des matchs de football le 5 mai

Jeudi 14 octobre 2021 (9’)


 


Madame la Présidente / Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes Chers-ères Collègues,

Il y a près de trente ans, le 5 mai 1992, le Sporting Club de Bastia (SCB) recevait dans son stade Armand Cesari de Furiani l’Olympique de Marseille pour une place en finale de la Coupe de France de Football.

Dès l’issue du tirage au sort et dans le cadre de la préparation de cette affiche, les autorités du club corse décidèrent de maximiser les capacités d’accueil du public et des supporters des deux équipes, intention traduite par la démolition de la tribune nord Claude Papi le 28 avril 1992 – jauge de huit-cent spectateurs – et son remplacement par une autre, provisoire, qui en décupla le nombre de places.
En moins de dix jours, la capacité du stade était portée de 6 800 spectateurs à près de 18 000.
Un accord oral est alors conclu par les autorités du club avec le directeur général de l’entreprise niçoise Sud-Tribune.
Responsable du chantier, celui-ci décidera de parer au manque de temps et de main d’œuvre en procédant à un mixage de deux types de matériels : des éléments métalliques approuvés par la SOCOTEC et complétés par des éléments réservés d’ordinaire aux échafaudages.
Suite à la réalisation d’un compactage également réalisé le 28 avril 1992, cette société de contrôle technique, agréée par l’État, rendra un avis favorable sur la solidité du sol d’assise, préalable à l’édification de la nouvelle structure.

Du côté des instances, la commission départementale de sécurité présidée le directeur de cabinet du Préfet de Haute-Corse, se réunit à plusieurs reprises et décide finalement, quelques heures avant le début du match, qu’il n’y a pas lieu d’interdire la rencontre. L’enquête révèlera par la suite la falsification de plusieurs procès-verbaux, ainsi que la mise en place d’une billetterie parallèle, assortie de comptes de recettes sous-évalués.
Ainsi, de nombreuses irrégularités furent-elles commises, expliquées par l’appât du gain.

Les conséquences, terribles, conduisent à l’effondrement quelques minutes avant le début de la rencontre de quatre mille des quelques dix mille places installées à la hâte, irrégulièrement et au mépris des règles élémentaires : absence de contrat écrit, absence de plans et de notes de calculs, absence de registre de sécurité. La catastrophe est vécue en direct à la télévision par des millions de Français. Le bilan, dramatique, s’établira finalement à 19 morts et 2 357 blessés, soulevant une très vive émotion dans tout le pays.

Dès le lendemain, le Président François Mitterrand se rend à Bastia au chevet des victimes et déclare que plus aucun match de football ne sera joué en France un 5 mai.

Le 15 décembre 1995, la cour d’appel de Bastia confirme la condamnation du dirigeant de l’entreprise Sud Tribune à deux ans de prison ferme pour homicide et blessures involontaires et prononce huit peines de prison avec sursis assorties d’amendes à l’encontre du directeur de cabinet du Préfet, d’un agent de la SOCOTEC et de responsables de la Ligue de Football Corse, de dirigeants du Sporting Club de Bastia et de la Fédération Française de Football.
Dans l’opinion, ce jugement fut relativement mal reçu, étendant à l’autorité judiciaire un sentiment de défaillance global caractérisant cette affaire. 

Depuis, pouvoirs publics, société civile et acteurs sportifs cheminent et tentent de s’entendre sur la réalisation d’un hommage aux victimes le plus digne, durable et large possible. Mais apparaissent des conceptions opposées sur les façons de commémorer.
Là où la Fédération Française de Football (FFF) et la Ligue de Football Professionnelle (LFP) défendent une vision active du souvenir comme meilleur rempart à l’oubli, et encouragent le déroulement des compétitions auxquels viendraient se raccrocher des gestes symboliques, les survivants et proches des victimes, pour certains réunis au sein du « Collectif des Victimes du 5 mai 1992 », souhaitent quant à eux une trêve d’une journée dédiée à l’entretien du souvenir et au recueillement.  

Dans ce travail mémoriel, une avancée importante est réalisée avec la mise en place de l’« accord du 22 juillet 2015 », soit cinq engagements collectivement pris, sous la direction de M. Thierry BRAILLARD alors Secrétaire d’État chargé des Sports. La reconnaissance des évènements survenus à Furiani en tant que drame national est actée. Un ensemble d’actions concernant la promotion des valeurs éthiques et citoyennes du sport au sein des établissements scolaires sont instaurées, dont nous apprendrons par les différents acteurs auditionnés dans le cadre de l’examen de ce texte qu’elles sont très largement négligées.

Aujourd’hui, la proposition de loi et son unique article visent à franchir une étape supplémentaire dans la reconnaissance du drame de Furiani en insérant dans le code du sport une disposition neutralisant la tenue des matchs de football professionnel en France (Ligue 1, Ligue 2 et Coupe de France) à la date du 5 mai, dérogeant ainsi aux modalités actuelles d’organisation du calendrier concerné.

Cette mesure soulève quelques interrogations.
D’abord, elle acte la remise en cause du principe même de l’autonomie du mouvement sportif : c’est-à-dire le droit à fixer, en vertu de l’article L- 131-1 du Code du Sport et suivants, par chaque ligue sportive et fédération délégataire (chargée d’une mission de service public déléguée par l’État), le calendrier des manifestations qu’ils organisent à l’adresse de leurs licenciés, d’où une forme d’ingérence.

Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur l’opportunité et le bien-fondé d’une réponse de nature législative à la revendication d’un groupe et aux attentes d’une partie de la collectivité nationale.
Pour quels motifs pertinents devrions-nous circonscrire ce dispositif dérogatoire au football professionnel ? D’autres matières pourraient-elles se voir, elles aussi, frappées d’une sanctuarisation de la date du 5 mai par solidarité interdisciplinaire ? Quid du traitement mémoriel des catastrophes qui pourraient survenir à l’avenir dans d’autres secteurs accueillant du public (culture, enseignement…) ?

Nous revient-il de légiférer sur le calendrier des matchs de football ? C’est une vraie question.
Une étude d’impact aurait certainement permis de sécuriser davantage cette mesure restreignant le champ de compétences de la Fédération Française de Football et de la Ligue de Football Professionnelle.

Mais nous considérons ce texte comme un rattrapage, voire une réparation, vis-à-vis de ce qui aurait dû être réalisé au cours de ces décennies, pour panser les plaies d’un profond traumatisme. Les réponses apportées furent, sur la durée, insuffisantes.
Si les propos de François Mitterrand n’ont pu se matérialiser, ce drame a toutefois placé certains acteurs du football professionnel face à leur cupidité, en exposant publiquement le risque encouru à faire passer des intérêts économiques avant la sécurité des équipements recevant du public. Comme trop souvent, c’est un choc qui conduira à une prise de conscience collective nécessaire à l’évolution des normes concernant la conception des enceintes sportives, l’accueil des supporters et la sécurité des compétitions. Il en fût ainsi à la suite de l’accident le plus dramatique de l’histoire du sport français lors des 24 heures du Mans de 1955 et qui causa la mort de quatre-vingt-quatre personnes.

En matière d’infrastructures, les efforts doivent être poursuivis par la mise en œuvre d’un plan d’investissement massif en faveur d’une modernisation de nos équipements sportifs, dont l’ancienneté, l’état de vétusté et l’inadéquation à la spécialisation de l’activité sportive (mono-fonctionnalité notamment) desservent le développement de la pratique et nuisent aux résultats de nos athlètes dans les compétitions internationales.

En 2009, déjà, la Cour des Comptes pointait ces carences en reprenant une estimation des économistes Jean-François BOURG et Jean-François NYS, chiffrant à 21 Mrds€ le montant nécessaire à la rénovation du patrimoine sportif français, répartis entre la mise en conformité des installations (sécurité, hygiène, santé) pour 6 Mrd€ et l’adaptation des équipements aux nouvelles attentes des pratiquants pour 15 Mrd€.

Selon l’Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) :

  • 22% des installations sportives (1/5) ont plus de cinquante ans d’âge et se retrouvent obsolètes, voire inutilisables ;
  • 42% des équipements ont plus de 36 ans ;
  • 7 équipements sur 10 n’ont jamais été rénovés, engendrant la saturation précoce de créneaux de pratique et des refus par les clubs de nouveaux adhérents ;
  • À noter que nos complexes aquatiques sont plus vieillissants que la moyenne des équipements :  63% ont plus de 25 ans, et 50% ont plus de 36 ans.

Aussi n’est-il pas étonnant que l’ANDES monte au créneau sur cette problématique des équipement sportifs, revendiquant une loi de programmation à hauteur d’un milliard d’euros, étalée sur cinq ans.

21 Mrd € nécessaires à la rénovation de nos équipements sportifs, Madame la Ministre, ça n’est pas rien ! À rapporter au budget des crédits Sports pour l’année 2022, soit 987 M€, dans le contexte particulier de la préparation des JOP 2024 !

Au cours de la cérémonie en l’honneur des médaillés olympiques des JO de Tokyo le 13 septembre dernier, le Président de la République annonçait un plan massif en faveur des équipements sportifs de proximité pour la période 2022-2024, inédit je le cite tant « par son ampleur » que « par son esprit ».
Nous attendons de connaître les nouveaux schémas de financement, de construction et d’utilisation de ces lieux évoqués à cette occasion. Ce jour, essentiellement consacré au sport par l’Élysée, nous apportera sans doute des réponses.

Les collectivités locales ou les intercommunalités, propriétaires de la quasi-totalité de ces équipements, devront être accompagnées.

Et pour revenir à la PPL, malgré nos réserves, solidaires du large consensus manifesté par nos collègues députés, sur un texte consolidé en séance ; et soucieux de répondre à l’aspiration mémorielle d’une partie de nos concitoyens, les Sénatrices et Sénateurs membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront en faveur de la proposition de loi.

Je vous remercie.

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