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Politique sportive
l’effort en gueule

L’attribution des JO à Paris pour 2024 aurait pu être l’occasion de prendre de grandes mesures en faveur du sport. Mais aujourd’hui, les acteurs du secteur pointent l’absence d’ambition et de financement depuis le début du quinquennat.


Jean-Michel Blanquer et Emmanuel Macron à Tokyo pour les JO, le 24 juillet. (Philippe Millereau/KMSP via AFP)

par Lola Dhers et Mathieu Michel
publié le 17 août 2021 à 20h06

« Vive l’EPS. » Pendant que les supporteurs français se réjouissaient de la réussite des équipes de France de sports collectifs aux JO de Tokyo, le ministre Jean-Michel Blanquer l’attribuait sur Twitter aux cours d’éducation physique et sportive. Il persistait même au micro d’Europe 1 le 9 août : « Ça montre que le système scolaire, dans la durée, a beaucoup d’importance, non seulement pour l’ensemble de la population, mais même pour l’élite du sport. » Que nenni pour les médaillés eux-mêmes, à l’image du basketteur Evan Fournier : « Au contraire monsieur le ministre. Notre culture sportive à l’école est désastreuse. »

Un ministre « à côté de la plaque », pour le socialiste Jean-Jacques Lozach, rapporteur du budget des Sports au Sénat. « Le tweet arrive un peu à rebours de l’histoire, juge Christian Couturier, le secrétaire général du Snep-FSU, le syndicat majoritaire des enseignants d’éducation physique et sportive. On nous a plutôt incités à faire moins de sport collectif. […] C’est bien joli de s’enorgueillir de résultats, encore faudrait-il que la politique soit cohérente avec ce qu’on affiche dans les tweets. »

Mais à quelques mois de la fin du quinquennat et trois ans des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, quel est le bilan sportif d’Emmanuel Macron ? En 2017, le Président fraîchement élu voulait que le sport prenne « une place essentielle dans [la] société ». « On a cru à ce discours, on espérait un changement profond de la considération du sport, à l’image de Jack Lang pour la Culture à l’époque, se souvient la coprésidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Mais on a vite déchanté. » « Cette obtention des JO en début de mandature aurait pu être une véritable rampe de lancement pour une politique sportive ambitieuse », regrette Jean-Jacques Lozach.

Le sénateur souligne tout de même certains points positifs, notamment le plan contre les violences sexuelles qui gangrènent le milieu sportif depuis des années. La ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu, déclarait début 2020 vouloir en finir avec « l’omerta » après le témoignage de la patineuse Sarah Abitbol sur les viols présumés qu’elle a subis entre 1990 et 1992. L’ex-championne de France avait, dans l’Obs, accusé sa fédération d’avoir couvert son entraîneur, Gilles Beyer. Maracineanu, ancienne médaillée d’argent en natation aux JO de Sydney, avait alors mis en place une cellule d’écoute pour les victimes ayant déjà recensé, en avril, 445 agressions et suspendu 191 éducateurs sportifs.

Le Pass’Sport, «une rustine de plus» ?

Autre initiative, la promotion du « sport pour tous ». Le gouvernement lancera à la rentrée le Pass’Sport, une aide de 50 euros pour financer l’inscription d’un enfant de 6 à 18 ans dans une association sportive. Elle s’adressera notamment aux 5,4 millions de jeunes dont les familles reçoivent déjà l’allocation de rentrée scolaire. Le député de la Loire Régis Juanico (Génération·s), à l’origine de cette proposition en 2019, l’avait pensée sur le modèle du Pass culture, en vigueur depuis cet été. Mais l’ancien socialiste avait plutôt imaginé une aide de 500 euros par enfant et généralisée à l’ensemble des 14-20 ans, souvent en décrochage sportif. L’Etat aurait dû, avec sa formule, inscrire 400 millions d’euros de budget. Le Pass’Sport version Macron sera moins douloureux pour Bercy : 100 millions d’euros seulement.

L’élu de Saint-Etienne regrette donc le faible montant arbitré par le gouvernement, sur fond d’économies budgétaires, et pointe le manque de communication de l’exécutif avant la reprise des saisons. Moins de pub, c’est moins de pass réclamés, donc moins de dépenses pour l’Etat. « Le gouvernement table sur un taux de recours entre 30 et 35 %», estime-t-il. « Si le pass n’est pas amené à se pérenniser, il sera encore une rustine de plus, comme depuis le début de l’ère Macron », appuie Shems el-Khalfaoui, adjoint au sport (PS) à la mairie de Saint-Denis.

Mais en dehors de ces deux mesures, difficile pour les acteurs du monde du sport, interrogés par Libération, de se féliciter avec Blanquer. La fin des contrats aidés, annoncée dès les premiers mois du mandat de Macron, avait ainsi porté un sérieux coup aux associations sportives. « Les clubs employaient des jeunes à plein temps pour se développer, leur action a dû être compensée par du bénévolat », pointe l’adjoint. Les conseillers techniques sportifs (CTS) se souviennent aussi du bras de fer engagé avec le gouvernement qui souhaitait réduire de 1 600 le nombre de ces fonctionnaires d’Etat en les transférant sous la tutelle des fédérations. Projet finalement avorté devant la fronde soutenue par le monde sportif professionnel.

Ces mesures s’inscrivaient dans la logique de réduction des dépenses publiques amorcée en 2017 par le gouvernement d’Édouard Philippe. En 2018, le ministère des Sports a ainsi été contraint de trouver plus de huit millions d’euros d’économies. En 2019, il a perdu près de 30 millions d’euros de crédits. Pour 2020, Maracineanu crie victoire : la ministre présente une hausse de son budget de plus de 35 %. Un leurre. Une étude de la fondation Jean Jaurès de septembre 2019 a démontré que cet exercice avait été « artificiellement gonflé de 184 millions d’euros » – hausse de l’enveloppe destinée à l’établissement public chargé de financer et superviser les chantiers des JO (Solideo) et prise en charge directe des salaires des conseillers techniques sportifs. Résultat, l’augmentation était d’à peine… un million d’euros. Même stabilité en 2021.

« Dernière roue du carrosse »

Le ministère des Sports pâtit aussi de son rattachement à l’Éducation nationale. « Résultat, le sport est relégué bien après l’école ou le service national universel dans le discours du ministre Blanquer », déplore Juanico. Pour lui, le gouvernement a fait du sport «la dernière roue du carrosse, loin derrière la Culture ». Qui elle-même ne se sent pas non plus privilégiée depuis l’arrivée de Macron à l’Élysée.

DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT

De plus, l’exécutif a créé en 2019 l’Agence nationale du sport (ANS), à qui l’Etat a confié une partie des missions jusqu’ici dévolues directement au ministère. L’Etat y partage le conseil d’administration avec les collectivités territoriales, le mouvement sportif et, dans une moindre mesure, les entreprises. Une fausse bonne idée selon Emmanuelle Bonnet Oulaldj : « Les fédérations ont les mains plus libres pour décider de façon plus cohérente comment répartir les subventions aux clubs. Mais on a du mal à assumer cette mission de gestion sans moyens supplémentaires pour la réaliser. » Ce désengagement de l’Etat au niveau des territoires a été «trop brutal» selon El-Khalfaoui. « L’ANS est une grosse machine, loin du terrain, fait valoir l’élu de Saint-Denis. Son aspect administratif est complexe pour les clubs, qui nous appellent à la rescousse. L’ancien ministère avait le mérite de centraliser les démarches, on gagnait en clarté. »

«On ne peut pas dire qu’il ait une politique de valorisation forte de la culture sportive […] Derrière le discours, les moyens ne sont pas à la hauteur.»

—  Christian Couturier, le secrétaire général du SNEP-FSU

Si le gouvernement revendique des moyens supplémentaires dans les récentes lois de finances, les seules augmentations de crédits attribuées au sport concernent en réalité la construction de futures infrastructures pour les JO de 2024. Mais, là encore, les acteurs de terrain regrettent l’absence de retombées sportives pour les habitants. Les Jeux laisseront bien une piscine olympique en héritage à Saint-Denis, mais « au pied des immeubles, on ne sent pas l’effet JO », garantit El-Khalfaoui. « Et pour le parasport [pour les personnes handicapées, ndlr], quelles sont les ambitions ? Il n’y a pas de club à Saint-Denis, pas plus que pour les publics autistes », assure le conseiller municipal pour qui les collectivités ont dû redoubler d’efforts et de créativité afin d’en faire une opportunité associative et scolaire pour les riverains.

Du côté des enseignants, on déplore un même manque d’ambition. « Jean-Michel Blanquer ne connaît pas bien ce qu’il se passe dans son ministère, dénonce Christian Couturier. On ne peut pas dire qu’il ait une politique de valorisation forte de la culture sportive […] Derrière le discours, les moyens ne sont pas à la hauteur. Il faudrait une véritable politique d’éducation physique à l’école. » Pour lui, c’est une simple « communication habile avec un objectif zéro dépense ».

«Mépris pour notre discipline»

D’autres professeurs d’EPS abondent en ce sens et évoquent notamment la grande disparité d’accès aux installations sportives. Anne Cheviron, enseignante en collège et en lycée à Paris, explique que « selon l’établissement, on ne fait pas le même métier. S’il y a des installations sportives, on peut pratiquer l’EPS. Si ce n’est pas le cas, on peut difficilement en faire, comme à Lavoisier où je travaille. On nous demande de pallier les maux de la société sans moyen ». Comme la sédentarité des élèves ? Blanquer a pourtant essayé d’y remédier, en promouvant par exemple en début d’année l’opération «trente minutes d’activité physique quotidienne à l’école» en plus des séances d’EPS. L’initiative, immortalisée par une vidéo sur les réseaux où l’on a pu constater la certaine raideur du ministre, lui avait valu de franches railleries. Pour Anne Cheviron, « c’est un gros mépris pour notre discipline, c’est imaginer qu’on fait juste bouger nos élèves alors qu’on leur apprend des choses sur le plan moteur, relationnel, social ». Christian Couturier renchérit : « C’est du gigotage, ça ne peut pas être une solution. »

La crise du Covid et ses conséquences sur l’enseignement du sport à l’école sont également mal digérées par certains professeurs. « On a appris par la presse que tous les gymnases étaient fermés, rapporte Anne Cheviron. On nous a mis à la porte sans nous permettre de nous replier nulle part. » La débrouille devient alors le maître-mot et l’enseignante se met à organiser des cours de yoga au jardin du Luxembourg.

Le sénateur Lozach voit, lui, « un hiatus entre les déclarations mirifiques [de Blanquer] et la réalité du terrain ». D’après lui, en EPS, « rien n’aura bougé et c’est regrettable ». Il prône notamment une heure supplémentaire de sport par semaine : « Ce serait significatif. » L’élu de la Creuse regrette aussi l’absence de « personnalité politique forte » au ministère des Sports : « Marie-George Buffet [ministre de la Jeunesse et des Sports du gouvernement Jospin entre 1997 et 2002] a marqué. Depuis, malheureusement, nous sommes restés sur une trajectoire très moyenne.» Sans compter qu’avant Maracineanu, l’ex championne olympique d’escrime, Laura Flessel, avait dû partir avant d’être rattrapé par le fisc.

C’est donc un « bilan contrasté » pour la politique sportive du gouvernement « sans réelle dynamique sportive », d’après Jean-Jacques Lozach. «Nous sommes toujours en attente de la proposition de loi sur le sport et la société [visant à démocratiser le sport] qui n’est pas encore arrivée au Sénat. On nous dit que le calendrier parlementaire est saturé, mais on pourrait quand même trouver une ouverture », s’agace-t-il. Le sénateur se veut néanmoins optimiste et mise sur la présidence française de l’Union européenne au premier trimestre 2022 pour « affirmer une politique sportive forte ». Pas sûr que Jean-Michel Blanquer choisisse ce combat-là.

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