R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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Paris, le 17 juin 2020 Intervention de M. Jean-Jacques Lozach, Rapporteur du groupe de travail
Madame la Présidente, Mes chers collègues, Nous voici arrivés au terme de nos travaux dans le cadre de notre groupe de travail consacré au sport. Je tiens tout d’abord à vous remercier, Madame la Présidente, pour avoir pris l’initiative de sa création. Je remercie également mes collègues membres du groupe de travail : Céline Boulay-Espéronnier, Nicole Duranton, Mireille Jouve, Antoine Karam, Claude Kern et Michel Savin. Le groupe de travail a été constitué en mars afin d’assurer le suivi de la crise sanitaire dans le secteur du sport, d’examiner les modalités du déconfinement et de réfléchir à des mesures permettant d’accompagner la relance économique de ce secteur. Notre constat à l’issue de deux mois d’auditions est sans appel : la situation du sport est grave et son avenir n’est pas assuré compte tenu des incertitudes qui demeurent. Pour ce qui concerne les opérateurs économiques, les enquêtes réalisées par COSMOS et Union Sport & cycle montrent que plus de 84 % des structures ont suspendu leur activité pendant le confinement ; 54,6 % ont placé l’intégralité de leur personnel en activité partielle ; 76 % des industriels du secteur ont connu un arrêt total ou partiel de leur production et 70 % des entreprises du secteur affirment avoir mis leurs salariés en chômage partiel. Sur le plan sportif, on peut rappeler que toutes les compétitions ont été arrêtées à l’issue du discours du Premier ministre du 28 avril à l’Assemblée nationale avec pour objectif de les reprendre en septembre. La crise sanitaire a remis également en cause l’activité des organisateurs d’événements sportifs. Amaury sport organisation (ASO) a ainsi annulé une quarantaine d’événements internationaux (le semi-marathon et le marathon de Paris, l’épreuve cycliste Liège-Bastogne-Liège, le Tour de France à la Voile, etc.). Lorsqu’ils n’ont pas été annulés, certains événements ont été reportés. C’est le cas du Tour de France cycliste qui aura lieu du 29 août au 20 septembre 2020. La FFT a pour sa part reporté le tournoi de Roland Garros du 20 septembre au 4 octobre 2020. Le président du syndicat Première Ligue, Bernard Caïazzo, estime que la perte des clubs de football du fait de l’arrêt des matchs devrait s’établir entre 500 et 600 M€. Une reprise des matchs à huis-clos réduirait de facto les recettes de billetterie et de marketing et aurait un impact sur le montant des droits de retransmission télévisée, le « produit » football à huis clos étant dévalorisé, les diffuseurs ne manqueront pas de renégocier le tarif des droits. La crise que connaît le secteur du sport est donc profonde et durable. Le groupe de travail constate qu’à ce jour aucun plan de relance digne de ce nom n’a été présenté et mis en œuvre. Alors que le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), Denis Masseglia, avait estimé le 12 mai que 20 % des clubs étaient en difficulté, nous considérons que cette proportion a, sans nul doute, significativement augmenté à la mi-juin. Faute de véritable soutien de l’État, la situation des clubs amateurs et professionnels pourrait même s’aggraver à mesure que les dispositifs d’aides mis en place au début de la crise seront levés et que la crise économique pourrait prendre de l’ampleur avec une hausse prévisible du nombre de faillites d’entreprises et des licenciements, y compris dans le sport. Le déconfinement dans le sport s’accompagne donc d’une grande incertitude et suscite un début d’inquiétude quant à la pérennité de nombreuses structures. De nombreux acteurs appellent donc de leurs vœux un « plan Marshall » pour le sport pour une durée de 3 à 4 ans. Les associations sportives ont pu très vite bénéficier des dispositions adoptées par le Gouvernement à destination des entreprises qu’il s’agisse du report des charges sociales, du régime de l’activité partielle, du financement du chômage partiel, ainsi que la garantie apportée par l’État aux emprunts souscrits auprès des établissements bancaires.
Ces mesures ont été extrêmement précieuses pour permettre à toutes ces structures, souvent de petite taille, de supporter le choc d’un arrêt le plus souvent total de leur activité. Il n’est toutefois pas acquis que ces dispositions soient aujourd’hui suffisantes compte tenu des spécificités du secteur sportif. Le déconfinement est, en effet, plus long à s’opérer dans le secteur du sport que dans la plupart des autres secteurs économiques. Sur le plan de la pratique, le groupe de travail salue les efforts déployés par le ministère des sports et les fédérations afin de déterminer des protocoles adaptés à la reprise de chaque activité sportive. Un guide a même été diffusé qui recense l’ensemble des bonnes pratiques. D’autres guides ont également été réalisés qui s’adressent aux collectivités territoriales, aux sportifs de haut niveau et au corps médical intervenant dans le secteur sportif. En dépit de ces efforts pour favoriser le déconfinement du sport, beaucoup trop de nuages continuent à obstruer l’horizon du secteur sportif, notamment professionnel. Si le football professionnel peut envisager de reprendre les compétitions en août à huis clos compte tenu du poids des droits télévisés dans ses recettes, ce n’est pas le cas des autres disciplines, notamment le rugby et les sports de salle, dont la majorité des recettes est issue de la billetterie et des recettes de marketing. Les clubs sont par ailleurs inquiets du maintien de leurs partenariats avec les sponsors et les collectivités territoriales dont les priorités pourraient changer à l’issue de la crise sanitaire. Pour les présidents des ligues professionnelles, il est fondamental que les compétitions puissent reprendre normalement en septembre au plus tard. Le groupe de travail ne peut que souscrire à l’idée de repenser le modèle économique du sport qu’évoque le ministère des sports. Pour autant la réalité de la situation des clubs reste très éloignée d’une telle idée. L’urgence est d’adopter très vite des mesures pour passer la crise avant de songer à inventer le sport de demain.
Comme je l’ai expliqué, le secteur du sport a bénéficié des puissants dispositifs mis en place par l’État pour soutenir les entreprises et le secteur associatif pendant la crise sanitaire. A contrario le même secteur du sport a beaucoup souffert de la décision prise par l’État de mettre un terme, de manière prématurée, aux championnats professionnels. Ce grave préjudice ‑ dont on ne mesure pas encore exactement l’étendue – justifie pleinement aujourd’hui que l’État s’engage à mobiliser des moyens particuliers pour aider les clubs victimes de la crise sanitaire et d’une décision unilatérale de la puissance publique. Le groupe de travail considère que ces mesures doivent reposer sur le maintien pendant plusieurs mois encore des dispositifs généraux mis en place depuis le mois de mars (report des charges sociales, régime de l’activité partielle, financement du chômage partiel, garantie apportée par l’État aux emprunts souscrits auprès des établissements bancaires) et des aides spécifiques au secteur du sport. Les aides spécifiques pourraient quant à elles porter sur la fiscalité propre au sport (« taxe Buffet ») mais également sur une aide à destination des jeunes pour encourager leur inscription dans des clubs, sur un assouplissement de la « loi Évin » et sur un accompagnement financier des athlètes français engagés dans la préparation des Jeux olympiques de Tokyo. Le groupe de travail souscrit également à la proposition faite par le groupe de suivi de l’application de l’état d’urgence sanitaire dans les domaines des sports et de la vie associative de l’Assemblée nationale de créer un fonds de soutien spécifique au bénéfice des associations et des clubs sportifs amateurs dans le cadre du plan de relance envisagé par le Gouvernement. Le groupe de travail considère par ailleurs que ces nouvelles aides doivent s’accompagner de contreparties de la part du secteur sportif. Les clubs pourraient, par exemple, pérenniser leur implication dans le dispositif 2S2C (Sport santé – culture civisme) afin de faire vivre le lien encore fragile qui a été créé entre les structures sportives et l’Éducation nationale. Les clubs pourraient également s’engager plus fortement dans la voie d’une maîtrise des salaires
Afin d’inciter les annonceurs du sport à maintenir leur implication dans le sport, le groupe de travail propose la création d’un crédit d’impôt « annonceurs » qui permettrait d’encourager l’achat d’espaces dans publicitaires dans les stades et sur les abords des compétitions. Ce dispositif pourrait, bien sûr, être intégré à un dispositif plus large concernant les annonceurs les médias audiovisuels et la presse tel qu’il a été soutenu par la commission de la culture
Le régime d’autorisation qui permet aux clubs de vendre de l’alcool dix fois par saison n’est pas satisfaisant. Pourquoi, en effet, limiter à dix ces exceptions si elles ne posent pas de difficulté ? Par ailleurs, le contrôle de ces exceptions apparaît pour le moins défaillant ce qui crée des inégalités entre les clubs qui ne sont pas acceptables. Le groupe de travail propose donc d’autoriser la consommation dans les stades de certains alcools et certaines publicités pendant deux ans, jusqu’à la fin de la saison 2021/2022, et ensuite de réaliser une évaluation indépendante pour pérenniser ou non cette évolution. Un tel assouplissement doit permettre de favoriser le retour des supporteurs dans les stades lorsque les contraintes portant sur les grands rassemblements seront levées et d’aider économiquement les clubs.
Le contexte actuel pourrait amener certains clubs à se retrouver en difficulté pour s’acquitter de la redevance. Pour autant il semble peu justifié de suspendre le paiement de cette redevance ne serait-ce que pour des raisons d’équité entre les clubs. Le groupe de travail propose donc qu’en cas de nouvelle dégradation de la situation des clubs, l’État, en lien avec la fédération et l’éventuelle ligue concernée, examine la possibilité de créer un dispositif de soutien mutualisé permettant – sur le modèle du prêt garanti par l’État (PGE) souscrit par la LFP – de soulager temporairement les clubs du poids des redevances pour la location de leurs enceintes sportives tout en préservant les collectivités territoriales.
Le groupe de travail reste très attaché au principe selon lequel « le sport doit financer le sport », ce principe n’est pas compatible avec le plafonnement par l’État des taxes affectées au sport. Au-delà de ce principe essentiel qui n’est plus respecté depuis de trop nombreuses années, les demandes d’aides financières par les clubs devraient fortement augmenter dans les mois à venir compte tenu de la crise économique et sociale annoncée. La nécessité de mettre en place un nouveau plan d’équipements sportifs n’est également pas contestée compte tenu du vieillissement des infrastructures. La hausse des revenus du secteur sportif doit également permettre de financer de nouveaux équipements, notamment en zone rurale et en Outre-mer. Le groupe de travail propose en conséquence d’augmenter les moyens de l’ANS en lui affectant davantage de crédits issus du produit de la « taxe Buffet ». Le groupe de travail propose donc que la totalité de l’accroissement du rendement de la « taxe Buffet » consécutif à la hausse des droits de retransmission télévisée soit affectée à l’ANS afin de répondre au défi de l’après-crise sanitaire.
Le groupe de travail demande à ce que ces dispositions réglementaires soient maintenant publiées dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, au cours du second semestre 2020. Il est urgent de pouvoir associer tous les acteurs locaux à la conduite des politiques territoriales du sport.
Le groupe de travail considère indispensable de stabiliser la situation des CTS dans la perspective des prochaines échéances sportives majeures. La proposition des tiers de confiance consistant à « resserrer » le corps des CTS autour des directeurs techniques nationaux et des entraîneurs nationaux et à le doter d’une véritable fonction RH constitue une piste intéressante mais qui doit encore être étudiée et concertée. Dans ces conditions, le groupe de travail propose que la situation des CTS fasse l’objet d’un moratoire jusqu’à 2024 afin de leur permettre de préparer les Jeux olympiques de Paris dans les meilleures conditions. La réussite des Jeux ne pourra se faire sans apaisement, le groupe de travail appelle la ministre des sports à clarifier l’avenir des CTS dans les meilleurs délais. Concernant maintenant le soutien à apporter à la pratique sportive. La crise sanitaire a rebattu les cartes de la pratique sportive. Beaucoup de pratiquants ont substitué à leur pratique en club une pratique dématérialisée et/ou des exercices individuels. En matière de pratique sportive également, il n’y aura pas de « retour à la normale ». Les clubs devront repenser leur organisation et leur offre pour redevenir attractifs. Le « sport santé » constitue un autre terrain de développement pour les clubs. Le sport peut, sans aucun doute, jouer un rôle plus important pour accompagner les rémissions de nombreux patients, il pourrait surtout être plus largement conseillé dans une logique de prévention de certaines pathologies. Outre la question du sport santé, le groupe de travail propose de mettre l’accent sur l’accueil des jeunes, le soutien aux athlètes et le développement du sport féminin.
Ce « Pass Sport » consisterait en un crédit de 500 euros dédié à l’achat de licences, à l’achat de petit matériel (vêtements, chaussures…), à l’accès à des équipements sportifs (piscine, patinoire…) ainsi qu’à des animations sportives hors périodes scolaires. Le groupe de travail estime que la création d’un tel « Pass Sport » apparaît aujourd’hui particulièrement pertinente dans le contexte de sortie de crise sanitaire et compte tenu de la nécessité de retisser un lien entre la jeunesse et les structures sportives.
Faut-il rappeler que la situation d’athlète de haut niveau est souvent synonyme en France de précarité ? En 2016, la moitié de la délégation française envoyée aux Jeux Olympiques vivait ainsi en dessous du seuil de pauvreté, soit moins de 1 026€ par mois. Le groupe de travail craint que la situation financière de nombreux athlètes de haut niveau se dégrade encore dans les prochains mois jusqu’à compromettre leurs performances – voire leur participation – aux Jeux de Tokyo. Dans ces conditions, le groupe de travail soutient la proposition de l’ANS d’attribuer des bourses mensuelles pouvant aller jusqu’à 3 000 € (compte tenu des autres aides auxquelles ils sont éligibles) aux athlètes qui en feraient la demande.
Le développement du sport féminin se justifie par lui-même compte tenu de ses valeurs, des perspectives qu’il crée pour les sportives et de l’attente du public. Il constitue, par ailleurs, un facteur de développement économique pour les clubs qui peuvent ainsi mieux utiliser leurs infrastructures et donc rentabiliser plus rapidement leurs investissements dans les stades, les centres d’entraînement, les installations médicales… Le groupe de travail appelle donc de ses vœux l’adoption de mesures ciblées en faveur du développement du sport féminin. Voilà mes chers collègues nos propositions qui sont les fruits de nos travaux. Il s’agit de propositions collectives qui poussent toutes dans le même sens. Je crois que la ministre des sports serait bien inspirée d’accorder son attention à ces propositions sénatoriales qui sont à la fois concertées, ambitieuses et cohérentes. Je vous remercie. |